
Charlotte Forns

Crédit photo: Johanne Gauthier
16 ans
Charlotte, originaire du Québec, soeur de Juliette, est une adolescente qui est présentement en voyage avec ses parents, ses 6 frères et soeurs, et son chien. Cette famille navigue depuis plus de 7 ans à bord de leur voilier, a fait diverses traversées en mer, et a découvert une bonne partie de notre monde.
À propos
Je suis présentement en voyage sur le voilier Pinocchio depuis 7 ans et pour encore 9 à 12 mois. Pinocchio est un voilier Galapagos ketch de 43 pieds. Je voyage avec mes parents et j'ai 6 frères et sœurs, ainsi qu'une chienne Labrador de 9 ans. L'idée de ce voyage vient de mes parents, principalement de mon père. C'est en 2013 qu'ils ont acheté Pinocchio, 3 ans avant le départ en 2016.
La question "aimes-tu voyager?" est plutôt complexe à répondre. Parfois oui, parfois non. Les côtés que j'aime moins sont: le manque de vie sociale, la difficulté à faire mes travaux scolaires sans professeur, l'indisponibilité de certains éléments dans certains pays (types de nourriture, types de vêtements, etc.), la déconnexion d'internet pendant de longues périodes, le manque d'intimité dans le bateau, l'inconfort, etc. Je ne peux pas vraiment dire pourquoi j'aime voyager. C'est simplement rendu mon mode de vie depuis que j'ai 9 ans.
Si c'était juste de moi, je voyagerais en vélo ou en avion. C'est un tout autre type de voyage puisque je n'ai pas ma "maison" partout où je vais, mais pour un voyage de courte durée, je voyagerais de cette manière. Pour un voyage à long terme, le voilier reste toutefois haut dans ma liste puisque c’est plus reposant de toujours avoir sa maison avec soi.
Je n'ai pas vraiment d'esprit critique par rapport aux 20 pays où nous avons fait escale. Mais, si j'avais le choix, je retournerais peut-être aux Açores, parce que j'aime l'environnement, le climat, les gens et la nourriture de là-bas. Je retournerais aussi dans les fjords de la Colombie-Britannique, du Chili et de l'Alaska, pour les randonnées en montagne et les forêts luxuriantes. Et aux Marquises, en Polynésie Française, pour les fruits. Particulièrement les pamplemousses géants.
Si j'avais le choix, je ne retournerais pas au Panama ni en Colombie. L'attitude quêteuse de ces gens me rend inconfortable. Le climat et l'environnement de la Colombie ne m'intéressent pas particulièrement. C'est plutôt pauvre, sale et boueux. Certes, je n'ai pas visité tout le pays, mais c'est mon avis sur ce que j'ai vu. Je garde de mauvais souvenirs du Panama en partie à cause des gens, qui nous ont volé des objets et qui nous ont soi-disant "envahis". Nous avons dû quitter l'ancrage parce que de plus en plus de gens (enfants et adolescents) arrivaient en canots et tentaient d'embarquer à bord!
J'ai trop d'anecdotes de voyage pour en trouver une que je préfère! Ce sont généralement les moments avec des amis qui restent le plus gravés dans ma mémoire, tant il est rare d'en rencontrer et toujours si agréable.
Concernant l'école, j'ai toujours été plutôt douée à l’école, à l’époque où j’y allais. J’étais haute dans la moyenne. J’aimais l’école. Je crois. C’est vraiment très lointain, mais je me souviens avoir toujours (peut-être sauf quelques exceptions) aimé me rendre à l’école.
Vie sociale
Je crois qu'au niveau de mes habilités sociales, notre voyage m’a démolie. J’étais une fille plutôt discrète avant, mais tout de même assez sociable.
Un exemple qui me vient à l’esprit, c’est lors des premiers mois de voyage, aux Açores. J’avais aperçu une fille qui avait l’air d’avoir mon âge et qui parlait français. J’ai tout de suite eu envie d’aller à sa rencontre.
Un autre exemple, c’est en Martinique, dans la première année de voyage. Ma mère m’avait dit que ce serait le fun si je me faisais une amie martiniquaise. C’est ce que j’ai fait dès que j’en ai eu l’occasion. Et j’ai plein d’autres exemples du même genre!
Maintenant, 7 ans plus tard, j’ai tendance à repousser toutes nouvelles rencontres avec des jeunes. J’ai envie d’avoir du bon temps avec des amis, mais l’effort social est bien trop épuisant! J’ai tendance à refuser ou redouter la compagnie des gens. Ce voyage m’a un peu transformé en solitaire anti-sociable, détestant la solitude, mais préférant être seule plutôt que de rencontrer des inconnus.
Mes aptitudes pour la conversation se sont également lamentablement désagrégées. Cette réalité revient me frapper en pleine face presque chaque fois que je vais à la rencontre de gens de mon âge. Les seules personnes avec qui je discute en face à face (pas en textos), ce sont les membres de ma famille. Je crois que ce n’est pas si bon pour une ado de discuter seulement avec son père!
Bref, je crois que mon voyage a un grand impact sur ma vie sociale, et dans un sens plutôt négatif.
Je ne garde aucun contact avec mes anciens amis qui ne voyagent pas. Oh oui, j’ai essayé pendant des années, mais même ceux dont j’étais proche ont fini par me perdre de vu. Et je comprends parfaitement leurs raisons! Moi même je trouve que nos styles de vie sont trop différents. Une vie de terre normale, et une vie de mer anormale. Beaucoup trop de différences!
Je n’ai rencontré pratiquement aucun ado en voyage. Je peux les compter sur mes doigts. J’ai arrêté de rencontrer des gens de mon âge lorsque j’ai eu 12 ans environ. On dirait que rendu à cet âge, les ados rentrent chez eux! Je dirais que oui, c’est un manque. Peut être que mes habilités sociales n’auraient pas tant diminué si j’avais pu rencontrer des ados en voyage.
Famille
Ce n’est pas le cas pour tous mes frères et sœurs, mais moi j’ai, de base, de bonnes relations familiales. C’est toutefois sûr que notre voyage a eu des impacts sur celles-ci. Ma mère était à la maison donc je l’ai toujours eue près de moi; ce n’est pas du nouveau. Je peux cependant dire que ce voyage nous a énormément rapprochés de notre père, qui travaillait beaucoup à l’extérieur avant le départ.
Avec certains membres de ma famille, la proximité a créé une drôle de relation plutôt particulière. Le genre de relation où on se regarde et on peut lire dans nos pensées juste par un mouvement de sourcils. On a tellement parlé ensemble qu’on pense tous de la même façon. Presque tout a déjà été un sujet de délire humoristique. On a plein d’inside jokes bien ancrées en nous. On s’est développé notre propre type d’humour et ça ne vaut même pas la peine d’essayer de l’expliquer aux autres! Je crois qu’on survit ensemble grâce à l’humour. Après 7 ans à être isolés et à vivre tous les coups durs (ainsi que les bons coups) ensemble, on est solidement attachés les uns aux autres.
Bien entendu, comme pour tout le monde, il y a des moments plus difficiles entre nous. J’ai la chance de ne pas être rancunière pour deux sous et d’adorer prendre part aux discussions familiales; pas moyen de rester en rancune contre quelqu’un dans la famille!
De toute manière, je ne suis pas en mesure de m’isoler. Je partage ma chambre avec mes trois sœurs, la chambre n’a pas de portes, je n’ai pas de rideau pour mon lit. La seule intimité dont j’ai accès, c’est la salle de bain. Mais ce n’est pas comme si je pouvais m’enfermer là pour être tranquille; nous sommes 9 à bord, avec une seule salle de bain! Pour m’isoler, je peux aller nager. Mais pas en transocéanique, ni dans les climats froids. Et aller me mouiller parce que je veux être seule... disons que j’ai fini par apprendre à survivre même sans intimité. Il y a énormément de détails qui ne me dérangent plus autant qu’avant, car j’ai fini par m’y habituer. C’est juste rendue ça, ma vie.
École
Depuis le début du voyage, je fais l’école à la maison à bord du voilier. De la 4e année jusqu’au secondaire 5, j’ai toujours eu des cahiers. Sauf une année où nous avons été dans l’incapacité d’en commander des nouveaux. Durant cette année, en secondaire 3, j’ai eu les fichiers PDF des cahiers et je remplissais des feuilles de calcul. J’ai eu bien de la misère cette année-là.
En général, je trouve ça correct. J’ai souvent de la difficulté en mathématiques et parfois en science, mais je me débrouille correct dans les autres matières.
Je suis actuellement en train de faire mon secondaire 5, dernière année d’école. Je ne vais donc pas retourner dans une école secondaire l’année prochaine, à notre retour. Toutefois, je vais sûrement avoir besoin de quelques cours supplémentaires pour rattraper le retard accumulé et obtenir mon diplôme du secondaire. Je vais donc aller dans un établissement d’école aux adultes. Et je me sens très en confiance par rapport à ça! Bien plus que si j’avais eu à entrer a l’école secondaire. Pourquoi? Eh bien, la gang de cet établissement est bien moins intimidante que celle d’une école secondaire. C’est plutôt dur à expliquer, mais j’y sens moins de pression.
Je ne crois pas avoir de mal à rattraper mon bon niveau scolaire une fois rendue dans un vrai établissement.
S’il y a des apprentissages que je n’aurai pas faits à l’école?... oui, plusieurs. À l’école, on apprend juste les matières scolaires. Mais est-ce que je n’aurais pas pu les apprendre à la maison? Je ne sais pas. Ce qui me vient à l’esprit, c’est la cuisine, la couture, la natation, des choses du genre. En vivant sur un voilier à temps plein, j’ai tout mon temps pour m’exercer à ce genre de choses qu’on n’apprend pas à l’école. Personnellement, je trouve que le plus important de ce que j’ai appris en voyage, c’est ce qui ne se voit pas. C’est ce qui est ancré en dedans de moi et qui va m’être utile toute ma vie. Par exemple, la capacité à s’adapter, à gérer le stress des situations inattendues, à vivre dans l’inconfort, à endurer des gens qui nous énervent, etc. Tout ça me rend forte émotionnellement. Ce sont des qualités qui vont me servir dans la vie de tous les jours ainsi que dans de futures entrevues d’embauche. Mais encore là, n’aurais-je pas pu apprendre ça à la maison aussi?
Autre
Le plus grand avantage d’être une ado qui voyage... Pour être franche, je n’en ai aucune idée. Je dirais que le fait d’être loin de l’influence et de la pression des gens et de la société, c’est plutôt bien. Ça nous permet de grandir bien à notre façon, sans être influencés par l’opinion de notre entourage.
Selon moi, le plus grand désavantage, c’est l’isolement, ainsi que la bulle protectrice qu’il y a toujours autour de nous. Être constamment sur le voilier ou toujours être accompagnée de mes parents lorsque je vais à terre, ça forme un cercle de protection. C’est dur à expliquer, mais je ne vis presque jamais de situations que j’ai à gérer moi même. Je crois que c’est un détail qui va me donner du fil à retorde lorsque je vais retourner à la vie sédentaire et que j’aurai à me débrouiller seule. Et l’isolement, bah comme j’ai expliqué plus haut, ça détruit mes capacités sociales! Mais, personnellement, je vis bien ma solitude. De ne rencontrer personne n’est plus quelque chose qui m’incommode tant.
Et finalement, non, je ne le recommanderais pas à tout le monde. Moi, j’étais jeune lors de la transition maison/bateau. Je n’ai donc pas eu trop de mal à m’adapter, car c’est plus le fun de voyager quand on est jeune. Puis, je suis devenu ado dans ce mode de vie. Tout est — et a toujours été — normal pour moi. Mais si j’avais été ado au début du voyage, je crois que j’aurais trouvé ça très dur. Je trouve d’ailleurs que c’est de plus en plus dur de voyager, au fur et à mesure que je grandis. J’aurais envie de plus de stabilité, d’être plus fixe.
Je ne recommanderais pas cette expérience à une personne qui a besoin de stabilité dans sa vie, ou qui a beaucoup besoin de son entourage (amis, famille autre, peu importe). Ni à une personne qui a besoin de beaucoup de confort, car voyager dans un véhicule, c’est toujours plutôt petit et minimaliste! Estimez-vous chanceux si vous possédez une douche et un frigidaire dans votre véhicule; nous, nous n’en avons pas!
Crédit photo: Charlotte Forns
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